« La guerre est le drame suprême d’une société complètement mécanisée. »
-Lewis Mumford
Il n’est pas surprenant de voir à nouveau les ruines d’une nature apocalyptique dans une ville européenne ; le fait que Mariupol soit devenue la nouvelle Alep n’est pas une coïncidence, mais rappelle des images similaires de Sarajevo pendant la guerre civile yougoslave. Les conflits entre nations, entre superpuissances impérialistes ne nous ont jamais quittés. Si tant est que la guerre en Ukraine soit une continuation du conflit mené contre toute vie sur cette planète, la géopolitique et la guerre elle-même sont les symptômes d’un processus destructeur qui s’intensifie, celui de la civilisation et de son contrôle total mécanisé. Les signes avant-coureurs d’une planète à l’agonie sont omniprésents et les élites technocratiques en sont très conscientes.
La guerre a toujours été un outil d’embrigadement pour contrôler les masses, mais aussi pour restreindre l’individu. La guerre en Ukraine ne fait pas exception, pas plus que les conflits permanents en Syrie et au Yémen. C’est une illusion de la propagande dans les médias sociaux de croire qu’il s’agit d’un simple conflit entre une nation apparemment démocratique et un oppresseur fasciste. Zelensky n’est pas innocent dans tout cela, il existe de nombreuses preuves qu’il a accueilli à bras ouverts les néo-nazis qui menaçaient le jeune État ukrainien. Zelensky a même utilisé le bataillon Azov aux côtés du SBU (le service de sécurité ukrainien, formé par la CIA) pour réprimer l’opposition, qu’elle soit pro-russe, gauchiste ou communiste, et ce n’est pas pour excuser la Russie et Poutine, car il a également été prouvé que les sous-traitants du groupe Wagner sont remplis de nazis qui commettent des atrocités en Syrie, en Libye et récemment au Mali. Si l’on ajoute à tout cela le fait que l’OTAN a fourni des armes à des groupes ouvertement fascistes tels que le bataillon Azov, les a formés et activement encouragés, on obtient l’image d’une guerre par procuration qui rappelle la guerre froide. Qui paie le coût d’une telle guerre ? Les hommes enrôlés de force, les femmes et les enfants morts sous les décombres, ceux enterrés dans des fosses communes, ceux qui croient à la propagande d’une guerre menée sous des prétextes mythologiques, alors que les têtes sont détournées de la véritable stratégie des puissances impliquées, qui consiste à contrôler les populations à l’intérieur du conflit, tandis que le reste du monde assiste au spectacle, heureux de voir que sa paix sociale est maintenue, que son confort n’est pas perturbé, que la sécurité de son consumérisme interminable se poursuit, que la machine léviathanique dévore ce qui reste du monde naturel et le remplace par le vernis d’un monde artificiel.
Ajoutez à tout cela l’un des grands bénéficiaires de la guerre, la technologie et les profits qui en découlent. Déjà dans ce conflit, nous voyons l’aide internationale tant saluée, sous la forme de nouvelles armes technologiques. Outre les lanceurs de missiles antichars, les NLAW et les Javelins. Les drones sont de plus en plus utilisés dans cette guerre, que ce soit à des fins de surveillance ou d’attaque, mais les drones Switchblade d’AeroVironment Inc., décrits comme des drones kamikazes suffisamment petits pour tenir dans un sac à dos, sont également un pas de plus vers le concept de swarm drones [drones en essaim ou flotte de drones] utilisant l’intelligence artificielle distribuée [IAD].
La reconnaissance faciale, déjà utilisée dans un contexte répressif, notamment en matière de surveillance, que ce soit dans les rues, aux frontières ou lors d’émeutes, afin d’identifier quiconque ose résister, est désormais également utilisée pour identifier des ennemis ou des corps de soldats, avec l’aide du plus grand fournisseur au monde, Clearview AI. L’entreprise a elle-même déjà admis avoir stocké des milliards d’images provenant du site de médias sociaux russe Vkontakte, même des selfies pris par des personnes lambda, à l’instar du programme utilisé par Facebook. Comme d’habitude, cette technologie est justifiée par des objectifs prétendument utiles, comme le regroupement des réfugiés, mais il est déjà prouvé qu’elle est utilisée par d’autres agences gouvernementales ukrainiennes à d’autres fins, pour garder leur propre population sous contrôle et coloniser la société de surveillance dans un autre coin du monde.
Par ailleurs, suite à un appel de Zelensky, les satellites Starlink de la société SpaceX fondée par Elon Musk ont été utilisés pour fournir internet à l’Ukraine après l’effondrement du réseau internet dans de nombreuses régions du pays. Il s’agit d’une légitimation supplémentaire d’une nouvelle technologie qui non seulement favorise la colonisation et la pollution de l’espace, mais accroît également le pouvoir des technocrates et la dépendance à leur égard, même en temps de guerre. Le rêve de couvrir la planète de haut débit est en bonne voie, car vous ne pouvez pas ne pas pouvoir accéder à Twitter ou à TikTok alors que votre maison est bombardée et réduite en cendres, et que tout le monde meurt autour de vous.
Comme nous l’avons déjà mentionné dans des publications précédentes, nous sommes confrontés à des changements majeurs dans le fonctionnement de la société, des États, du capitalisme et de la civilisation dans son ensemble. Ce changement technologique et scientifique, qui étendra encore davantage le contrôle sur notre vie à tous, entraînera des conflits et des guerres, car certaines puissances rivalisent non seulement pour le contrôle des technologies, mais aussi pour accroître leur influence sur certaines parties de la planète et être les premiers à accéder à des ressources qui s’amenuisent et aussi à de nouvelles ressources pour développer les nouvelles technologies. Nous considérons la guerre qui se déroule en Ukraine comme la poursuite d’un processus qui a déjà été mis en pratique dans la pandémie toujours en cours, accompagné de l’augmentation des contrôles sur des populations entières. Avant cela, nous avons eu la « crise économique », la « guerre contre le terrorisme », toujours la continuation d’une crise des systèmes autoritaires, qui ont été créés, mais aussi la perpétuation d’un état de peur, peu importe qu’ils aient été créés par eux ou qu’ils soient les symptômes de leur échec.
Parallèlement à ces changements récents, le tableau soi-disant parfait de la paix sociale est en train de s’effondrer. Nous entrons déjà dans ce qui est décrit comme une « crise du coût de la vie » qui voit l’inflation et les prix de l’énergie augmenter. C’est une conséquence de l’effondrement du système économique dû à la pandémie, mais aussi une conséquence de la tentative des capitalistes et des élites de forcer les populations à retourner dans les galères du travail qui sont devenues encore plus une prison de surveillance et de contrôle total, que ce soit l’évolution croissante de l’automatisation, la surveillance constante de chaque action ou même la transformation absolue du travail en un esclavage sur le schéma Amazon. Avec tout cela, il est également clair que non seulement une « nouvelle guerre froide » est en train de se préparer, mais aussi une soi-disant « guerre énergétique ». Comme tout le monde le sait, la Russie est l’une des plus grandes sources de gaz et de pétrole au monde et les puissances occidentales ont déjà évoqué leur volonté de ne pas dépendre d’elles, que ce soit en devenant autonomes par elles-mêmes en matière d’énergie, en poursuivant l’exploitation de leurs propres sources de combustibles fossiles ou en développant les énergies renouvelables. La destruction de la planète par la poursuite de l’exploitation des combustibles fossiles dans de nouvelles zones, en utilisant des méthodes encore plus destructrices, ainsi que l’augmentation parallèle des « technologies vertes » qui nécessitent l’extraction de ressources encore plus polluantes, semblent plus prioritaires que de mettre fin à une guerre.
Où nous situons-nous en tant qu’anarchistes dans les guerres menées par les États-nations, les superpuissances et les technocrates ? En Ukraine, des anarchistes ont déjà formé un soi-disant « Comité de résistance » qui admet ouvertement faire partie de la « Force de défense territoriale » ukrainienne, elle-même directement subordonnée aux forces armées de l’Ukraine. Ces « anarchistes » font partie intégrante d’une unité de l’armée de l’État ukrainien, ce même État ukrainien qui a accueilli des néo-nazis dans son armée, ceux dont les commandants ont été décorés par Zelensky lui-même et qui ont ouvertement déclaré vouloir « mener les races blanches du monde dans une croisade finale ». Nous pourrions continuer à parler de la corruption et des liens de l’État ukrainien avec les fascistes, mais nous réservons cela pour un texte ultérieur, dans lequel nous analyserons la montée du nationalisme, des fascistes et des néo-nazis en Ukraine et en Russie, et nous montrerons comment le pays est devenu un point de convergence et un terrain d’entraînement pour le mouvement fasciste international, encouragé à la fois par l’OTAN et l’État russe.
L’État ukrainien ne peut être confondu avec une sorte de retour à la guerre civile espagnole avec l’État républicain, ni même avec une alliance des makhnovistes avec les bolcheviks ; car ce dont il est question ici, c’est l’adhésion volontaire à une armée qui compte également des néonazis dans ses rangs, et quiconque se proclame anarchiste ne devrait rien avoir à faire avec elle.
Par ailleurs, ces « anarchistes » ont même oublié les principes de base de l’anarchisme et l’implication passée des anarchistes dans des conflits. Les anarchistes ne combattent pas au sein d’une armée d’État, n’endossent pas l’uniforme, ne reçoivent pas d’ordres, ne se soumettent pas à l’autorité des officiers. Durant la guerre civile espagnole, des anarchistes ont perdu la vie lors des Journées de Mai à Barcelone en 1937 en s’opposant non seulement à la formation d’un Etat ou d’une contre-révolution mais aussi en résistant à la militarisation de leurs milices. En 1916, Kropotkine, Jean Grave et d’autres anarchistes ont rédigé un texte inexcusable appelé le « Manifeste des Seize », dans lequel ils encourageaient les anarchistes à s’engager dans la Première Guerre mondiale aux côtés des Alliés parce que les Empires centraux devaient apparemment être vaincus, alors que des millions de personnes mouraient dans les tranchées pour le nationalisme et l’impérialisme. La même erreur sera à nouveau commise avec la Seconde Guerre mondiale, Rudolf Rocker soutenant que l’effort des Alliés dans la Seconde Guerre mondiale était juste, car il conduirait finalement à la préservation des valeurs libertaires !
Si l’amnésie du passé ne suffit pas, ces « anarchistes » semblent se sentir à l’aise pour rejoindre une armée équipée et entraînée par des soldats des pays de l’OTAN, comme le sont d’autres « anarchistes » qui rejoignent les forces kurdes en Syrie. Dans cette guerre, ils ont même été d’accord que les forces aériennes et les forces spéciales des pays de l’OTAN combattent avec eux contre l’État islamique. Il y a ici un lien entre ce qui s’est passé au Rojava et ce qui se passe maintenant en Ukraine, une tendance communiste libertaire et militarisée qui n’est pas anarchiste, qui a ses racines bien plus loin dans le temps, qui a corrompu les cercles anarchistes internationaux à tel point qu’ils commencent à fonctionner comme les communistes, les libéraux et les gauchistes, sombrant dans une pratique qui ne représente aucune menace chez eux, parce que leur prétendue révolution n’est jamais mise en œuvre de manière violente là d’où ils viennent, encourageant une version encore pire du civisme et du militantisme. Nous devrons à l’avenir faire une critique de cette déviation, qui aurait dû être faite depuis longtemps, dans les cercles anarchistes internationaux.
Les anarchistes sont par principe antimilitaristes. Ils ont refusé la conscription dans de nombreuses guerres, y compris celle du service militaire comme en Italie et en Grèce. Les anarchistes se sont lancés dans la lutte armée antifasciste en tant que partisans pendant la Seconde Guerre mondiale, en mettant sur pied des formations autonomes là où c’était possible (Carrera, Pistoia, Gênes et Milan) ou, comme ce fut le cas dans la plupart des cas, en rejoignant d’autres formations, qui ne faisaient pas partie de l’armée italienne déjà sous le contrôle de Mussolini et de ses fascistes, qui s’étaient alliés à Hitler et aux nazis. Les Galleanisti ont poursuivi leur propre guerre contre l’État américain, bien que celui-ci soit entré dans la Première Guerre mondiale contre l’Allemagne. Depuis des décennies, l’armée et son industrie sont les cibles des anarchistes. Que ce soit contre la base de missiles américaine de Comiso, en Italie, dans les années 1980, ou la Fédération anarchiste informelle qui a attaqué des cibles et des fournisseurs militaires à l’échelle internationale, comme au Royaume-Uni contre une ligne de chemin de fer reliant le ministère de la Défense et des entreprises militaires, des incendies volontaires dans la Réserve des Royal Marines et contre BAE Arms. Ces dernières années, des entreprises d’armement et les militaires ont de nouveau été prises pour cibles : les Cellules d’Action Directe en Grèce ont attaqué des résidences de militaires à l’aide d’engins incendiaires et plusieurs cibles ont été touchées en Allemagne par des autonomes, notamment des véhicules militaires MAN et l’incendie des bureaux de l’entreprise de défense OHB à Brême.
Il ressort clairement de cette chronologie courte et limitée que l’armée et ses sous-traitants, les profiteurs de la guerre et de la mort ont toujours été des cibles pour les anarchistes, et même plus loin dans le temps il y a toujours eu une tendance à lutter contre tous les États, même en temps de guerre. Quand n’y a-t-il pas une guerre en cours quelque part dans le monde ? Ne sommes-nous pas constamment en guerre avec notre ennemi, que ce soit l’État, le capitalisme, la technologie, les fascistes ou la civilisation ? Et cela n’inclut-il pas leurs armées ?
L’antimilitarisme fait partie de notre guerre contre l’existant. Nous ne sommes pas les pacifistes des manifestations contre la guerre en Irak qui n’ont rien empêché, ou les écolos-libéraux populaires en plein naufrage. Nous ne nous battons pas dans des guerres nationalistes ou impérialistes et nous ne formons pas de fronts impossibles avec ceux qui nous tortureraient et nous tueraient une fois que nous aurions le dos tourné. Les luttes anarchistes passées devraient nous apprendre qu’il n’y a pas de négociation possible avec ceux qui perpétuent la prison existante, peu importe à quel point ils promettent d’être libertaires ou démocratiques.
Ce qui se passe en Ukraine lorsque des « anarchistes » combattent au sein des forces armées d’un État-nation qui s’est allié aux fascistes, c’est une trahison de tout ce qui est anarchiste et ne devrait pas être qualifié comme tel. C’est l’incapacité à réaliser l’autonomie, à créer un conflit contre toute autorité, contre tous les États, toutes les manifestations de pouvoir, avec une violence insurrectionnelle réelle, au lieu de se concentrer autant sur un post-modernisme, une politique identitaire, des déviations libérales gauchistes et même communistes.
Au lieu de cela, nous […] appelons une fois de plus à une nouvelle coordination internationale, pas seulement contre l’OTAN et l’État russe, mais contre tous les États.
Notre guerre est dirigée contre toute militarisation, contre tout embrigadement, toute négociation avec le pouvoir et l’autorité qui imprègnent toute la société. Elle n’est pas seulement dirigée contre les cibles militaires, mais contre toutes les manifestations de contrôle, des flics aux patrons, des technocrates aux soldats, tous les politiciens et les banquiers, tout ceux qui profitent de nous et nous emprisonne, qui détruisent et tuent toute vie sur cette planète. Le complexe carcéral militaro-industriel et technologique doit être abattu, détruit et réduit en cendres !
Pour 10, 100, 1000 cellules anarchistes insurrectionnelles et révolutionnaires !
Pour une nouvelle Coordination Anarchiste Internationale !
325 Collective
Traduction française : The Friends of the Class War
Source en anglais : https://darknights.noblogs.org/files/2022/05/dark-nights-51.pdf